D'où vient le fond blanc (« light mode ») sur les écrans d'ordinateur ?

À l'origine un toot j'ai fait une page comme on me l'a si gentiment suggéré.

Aujourd'hui il y a une tendance du « dark mode » qui a commencé autour de l'éditeur de code Sublime Text (si je me souviens bien) dans les années 2010 et s'est étendue au web et aux environnements de bureau. Le mode sombre est associé à l'imaginaire du hacker nourri par les souvenirs des terminaux vidéo des années 80 et des ordinateurs en mode texte.

Si on remonte dans le passé il y a eu une époque avant les moniteurs où les ordinateurs renvoyaient leurs réponses sur téléimprimante (TTY). Les premiers terminaux vidéo avaient pour vocation de remplacer la sortie papier en la simulant : le texte apparait en bas de l'écran puis remonte comme un rouleau et le texte qui était tout en haut disparait. L'ordinateur reçoit et retourne des caractères encodés dans un format numérique et le terminal qui possède une mémoire et un générateur de caractères s'occupe du dessin, de l'affichage et de l'effacement des lettres à l'écran.

Les micro-ordinateurs apparus à la fin des années 70 (par exemple Apple II) ont intégré le terminal vidéo à leur architecture, il suffisait alors de juste connecter le micro-ordinateur à un moniteur ou une télévision. Cette intégration a permis plus de flexibilité en permettant la modification des caractères en mémoire ainsi que leur position dynamiquement (plutôt qu'un simple mode « rouleau ») notamment pour les transformer en graphismes de jeu vidéo rudimentaires. Plus tard les micro-ordinateurs ont incorporé en plus des modes graphiques permettant de contrôler l'écran pixel par pixel plutôt que caractère par caractère mais le manque de mémoire de machines comme le VIC 20 ou le Commodore 64 contraignait les modes graphiques à des très gros pixels, rendant le mode texte toujours indispensable pour des applications de productivité comme le traitement de texte.

Les premiers terminaux vidéo utilisaient des tubes cathodiques monochromes verts (phosphore P1) ou ambres (P3), le texte était alors sur fond sombre je pense pour éviter l'usure du tube et éviter l'inconfort de lire du texte sur un rectangle lumineux vert ou orange - certains terminaux et moniteurs avaient toutefois une option pour inverser l'image. Les moniteurs ambres et blancs (phosphore P4) ont longtemps cohabité ; par exemple le fameux VT100 (1978) avait déjà un tube blanc, le VT320 (1987) lui était disponible dans les trois couleurs.

Du côté des micro-ordinateurs il y a eu une grande variété de codes couleurs. Le Apple II affichait son mode texte par défaut sur fond noir, le Commodore 64 sur fond bleu, le ZX81 en noir sur gris et le VIC 20 en bleu sur blanc. Le PC, conçu pour être utilisé notamment avec des écrans monochromes ambres ou verts, a ses modes texte par défaut sur fond noir. Certaines stations Sun des années 90 ainsi que les ordinateurs NeXT puis les premiers Mac avec OpenFirmware avaient leur mode texte sur fond clair.

Le premier ordinateur à permettre des applications graphiques (et qui possède une souris !) est le Xerox Alto en 1973. Son écran monochrome en orientation portrait utilisait du phosphore P4 (blanc) et l'environnement était entièrement noir sur blanc comme le seront les ordinateurs Lisa et Macintosh dans la décennie suivante. Ces ordinateurs partagent aussi la caractéristique de ne plus avoir de mode texte avec un générateur de caractères : l'écran affiche simplement une matrice de pixels. Xerox a très certainement choisi le noir sur blanc pour imiter la feuille de papier car le Alto (comme le Macintosh plus tard) possédait un écran de 72 DPI en pixels carrés conçu pour la composition de documents en WYSIWYG : le document apparaît à l'écran identique à ce qu'il sera une fois imprimé.

Dans les années 90 les environnements de bureau ont commencé à proposer des options de personnalisation permettant d'obtenir un « dark mode », déjà Windows 3.1 offrait des modes "inversés" à l'époque adaptés aux écrans à cristaux liquide des premiers ordinateurs portables. Windows 95 puis les versions suivantes avec leur thème "classique" offraient deux thèmes de couleur sur fond noir. Ces thèmes n'étaient cependant pas populaires parce qu'à cette époque de nombreux logiciel programmaient en dur certaines couleurs de leur interface plutôt que d'utiliser celles du système, ce qui rendait l'affichage inconsistant avec parfois des libellés difficiles ou impossibles à lire.

Du coup pour répondre à la question que je me suis posée : ça viendrait bien du Xerox Alto en 1973, comme presque tout finalement !